Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article LEX COLLEGII

LEX COLLESII. Parmi les leges privatae, celles qui, par leur mode de formation, ressemblent le plus aux leges rogatae, ce sont les leges collegiorum. On donne ce nom aux statuts des collèges funéraires ou professionnels si nombreux à Rome sous la République et sous l'Empire LFUNcS, t. IV, p. 1402j. De même que la lex publica oblige tous les citoyens, la lex collegii est obligatoire pour tous les membres du collège. Chaque collège avait la sienne. La loi des Douze Tables laissait aux associés toute latitude pour la rédaction des statuts, sous la seule réserve de ne porter aucune atteinte aux lois de la cité. Nodales sunt, qui ejusdem collegii sunt. His auteur potestatem facit lex pactionem quam velint sibi ferre dom ne quid ex publica lege corrumpant 3. Cette règle fut maintenue même sous l'Empire, lorsque la liberté d'association eut été restreinte par la loi Julia 4. Elle perdit en partie sa portée pratique lorsqu'au cours du nt' siècle les collèges professionnels reçurent le caractère d'institutions publiques 6. Au Ive siècle, leur autonomie devint presque illusoire, alors qu'ils furent tenus de se conformer aux règles et aux conditions imposées par l'État 6. Il était bien difficile de parler de liberté à une époque où les membres d'un collège n'avaient plus le droit de le quitter ', où leurs biens étaient affectés au service de la corporation 8, où le fils devait suivre la profession de son père, où l'on enrôlait de force dans chaque corporation les travailleurs dont on avait besoin Ce qui va être dit sur les leges collegiorum s'applique donc spécialement à la période comprise entre la loi des Douze Tables et le lite siècle de notre ère. Les renseignements qui nous sont fournis par les monuments épigraphiques se rapportent pour la plupart aux premiers siècles de l'Empire 10 : Confection de la lex collegii. Les usages suivis pour la confection de la lex collegii s'expliquent aisément lorsqu'on se rappelle comment les collèges étaient organisés. Tous les documents sont d'accord pour attester que l'organisation des collèges est modelée sur celle des cités (ad exemplum reipublicae)". Les membres du collège forment lepopulus1' ; ils sont répartis en décuries'', parfois en centuries 14 commandées par un décurion]' ou un centurion16. La réunion des décurions forme le sénat ou conseil du collège (ordo decurionum)''. La masse des associés forme la plebs'8. Comme la cité, le collège a pour protecteurs des patrons '° dont il escompte la générosité V0 et qu'il remercie en lui érigeant des statues 21. Comme la cité, le collège a ses assemblées (conventus) 22, qu'il tient parfois dans un temple public en vertu d'une autorisation spéciale", le plus souvent dans un local qui lui appartient en propre, la schola 24. Ces assemblées, comme les comices, ont des attributions électorales", législatives 26, judiciaires". Le collège a pareillement ses magistrats élus pour un an 28 ou pour un lustre29 (magistri, quinquennales), et qui prêtent serment, comme les magistrats du peuple romain, à leur entrée en chargeJ° et à leur sortie 31 JUSJURANDUM, t. V, p. 770). 11 a aussi ses hommes d'affaires (curatores) 31, ses secrétaires (scribae n, tabularii 34, notarii) et gens de services (viatores, apparitores, aeditui, etc.). Enfin le collège a sa caisse (arca collegii)" avec un trésorier (quaestor 36, arcarius 31), chargé d'encaisser les recettes et d'acquitter les dépenses, sous la surveillance du magister 38. Si à tous ces points de vue le collège ressemble à une cité, il en diffère quant au caractère de la lex qui le régit. Ce n'est pas, comme la lex municipalis, une lex data, imposée par l'autorité compétente, mais un règlement librement accepté par les membres du collège: lex ab ipsis constituta 39. L'initiative est prise ordinairement par le fondateur (constitutor i0). Ceux qui désirent s'associer s'assemblent, parfois dans un temple 4f, pour délibérer sur le projet de statuts. Contrairement à la règle observée dans les comices, tout membre de l'assemblée peut prendre la parole et faire une proposition 42. Puis on procède au vote, soit par acclamation43, soit par écrit 44. Tout en restant libres de fixer à leur gré les statuts, les membres du collège devaient se conformer aux conditions imposées soit par les bienfaiteurs de l'association, soit par l'État. Le statut du collège d'Esculape et d'Hygie, LEX 1 1 1 1 LEX de l'an 153, offre un exemple des premières : la donatrice défend d'admettre plus de soixante membres et détermine les conditions sous lesquelles il sera pourvu à leur remplacement en cas de décès 1. De même sous l'Empire, l'État pouvait n'autoriser la fondation d'un collège que sous des conditions déterminées. Une lettre de Pline à Trajan prouve qu'on se préoccupait de limiter le nombre des membres et d'exclure d'un collège professionnel les ouvriers exerçant un autre métier2. Depuis la loi Julia de collegiis, le collège n'avait d'existence légale qu'après avoir obtenu l'autorisation de l'État. Cette autorisation devait, suivant Mommsen, être demandée au sénat pour l'Italie 3 et les provinces sénatoriales 4 (quibus senalus c(oire) c(ogi) c(onvocari) permisit e lege Julia 3), à l'empereur pour les provinces impériales. Mais cette distinction n'a pas été rigoureusement observée. Ily a, au ne siècle, des exemples d'autorisations données par l'empereur à des collèges d'italie 0 ; et un jurisconsulte du commencement du lue siècle met sur la même ligne l'empereur et le sénat, quant au droit d'autoriser la formation des collèges '. On trouve cependant, au milieu du m° siècle, un exemple d'une autorisation donnée par le sénat dans une province impériale 3. Je serais porté à croire que, régulièrement, la demande d'autorisation était adressée au sénat qui prenait l'agrément du prince (concedente imperatore). Dans certaines inscriptions, on a omis la mention soit du sénat, soit du prince, alors que l'un et l'autre ont dû être consultés 9. Une inscription de Cyzique distingue nettement la confirmatio du sénat et la concessio de l'empereur 10 °2° Rédaction de la lex collegii. Les monuments épigraphiques nous ont conservé un certain nombre de leges collegiorum qui donnent une idée suffisante de leur rédaction. Ce sont d'abord les statuts de trois collèges funéraires, le collège d'Esculape et d'Hygie à Rome", celui de Diane et d'Antinoüs à Lanuvium L2, celui de Bacchus à Athènes 13 ; puis ceux de la caria Jovis de Simitthus, organisée en collège funéraire 74. Ce sont ensuite les fragments des statuts de deux collèges professionnels, le collège des foulons" et celui des ivoiriers et ébénistes romains" Ce sont enfin les règlements de plusieurs collèges militaires de Lambèse, le collège des lieutenants (optiones), celui des sonneurs de cor (cornicines), des tesséraires, des optiones valetudinarii 17, etc. Ces règlements portent parfois le nom de lex scholae 1 e. Ces statuts déterminent: 1° les conditions d'entrée 1° ; 2,9 les charges imposées aux membres du collège (droit d'entrée (lcapitulariurn 20, scamnarium 2L) ; cotisation mensuelle (stips rnenstrua 99), prestations diverses munera 23) ; 3° les dates des assemblées 2h, des banquets 25, des sacrifices 20 ; 49 l'emploi des revenus : honoraires des chefs 27, parts dans les distributions de sportules 28, salaires des gens de service29, primes accordées en certains cas aux militaires (anularium) 30, frais des obsèques des membres décédés (funeraticium) 31 ; 5° les droits et obligations des membres des collèges funéraires [FUNKS, t. IV, p. 1403] ; 6° les amendes en cas de contravention. Aucune de ces leges ne contient le règlement complet du collège. C'est là une particularité de leur rédaction et une différence avec les statuts de nos associations modernes. Les Romains ne jugeaient pas utile de graver sur pierre, marbre ou bronze, les clauses d'usage : la lex ne comprend en principe que les dispositions spéciales au collège. Une autre particularité, c'est qu'on ne trouve dans les leges des collèges professionnels aucune clause relative aux procédés techniques. On e parfois invoqué en sens contraire la lex lletilia de fullonibus32, mais ce n'est pas une lex collegii, c'est un plébiscite". 3° Publication de la lex collegii. Les statuts du collège sont affichés dans la schola. Il était essentiel de les porter à la connaissance de ceux qui demandaient leur admission dans le collège. La lex du collège des adorateurs de Diane et d'Antinoüs à Lanuvium recommande aux nouveaux adhérents de lire d'avance le règlement: Tu, qui novos in hoc collegio intrare vole[s, p]rius legem perlege et sic intra, ne postmodum queraris tut Jleredibus controver[si]am reliaquas 34. Pour donner une plus large publicité aux statuts, le collège obtenait parfois l'autorisation de les afficher dans un temple : c'est ce qui eut lieu à Lanuvium. L. Caesennius Ratas [dict(ator) III et patronu]s municipi... praecepit legem ab ipsis constitutain sub tetra[stylo A]ntinoi parte iule riori perscribi 35. 49 Désignation de la loi. La loi emprunte au collège sa dénomination. Les collèges funéraires sont souvent désignés par le nom d'une divinité dont ses membres se disent les adorateurs : tel est le collegium salutare Dianae et Antinoi 30 .rEsculapi et Ilygiae37, Jovis Cerneni 38, Silvani ". Les collèges professionnels portent le nom du métier exercé par les membres, et de la cité où ils sont établis. Sur le premier point, la règle n'est pas absolue : on rencontre fréquemment dans ces collèges LEX 1112 LEX des personnes exerçant un métier différent. A Lyon, par exemple, il y a dans le collège des fabri tignuarii un potier ', un forgeron 2, un marchand de saumure ; dans le collège des fabricants d'outres, un marchand de toile 4 et un peigneur de laines '. Certains collèges comprennent des ouvriers de deux métiers différents à l'exclusion de tous autres 6 ; tel le collège des ivoiriers et ébénistes de Rome 7. Un trait caractéristique des collèges professionnels, c'est l'indication de la cité où ils sont établis. C'est une conséquence de leur caractère municipal. Ils n'étaient autorisés que dans les limites du territoire d'une cité. On les désigne ordinairement par un adjectif dérivant du nom de la ville : corpus dendrophorum Ostiensium 8. Parfois le nom de la ville est au génitif : collegium fabrum coloniae Apul(ensis) ; parfois aussi il est accompagné du mot consistere : Lugduni consistentes, et désigne des personnes résidant dans cette cité alors même qu'elles n'en seraient pas originaires 9. 6° Modification de la lex collegii. Les statuts des collèges ne sont pas immuables. OEuvre de la volonté commune, ils peuvent être modifiés par l'assemblée générale. Une inscription de Pompéi en offre un exemple : la lex du collège des ministri Fortunae Augustae obligeait certains membres à fournir une statue ; une décision de l'assemblée, prise sur le rapport du questeur, autorisa le débiteur à donner à la place deux socles de marbre. Pro signo quod e lege Fortunae Augustae ministrorum ponere debebat... basis ducs marmoreas decreverunt pro signo poniret i0. 60 Sanction de la lex collegii. La lex collegii n'a par elle-même aucune valeur juridique : c'est un acte non solennel, pactio 11. Mais le fonctionnement du collège eût été impossible si l'on n'eût trouvé le moyen de rendre obligatoires les clauses inscrites dans les statuts. Il était d'usage de confirmer la lex par un serment, ou une stipulationi2 (conjurare et convovere ; conspondere et compromittere). Chacun des membres jurait de se conformer aux statuts et faisait un voeu pour le cas où il ne tiendrait pas son serment ; ou bien il faisait une promesse en forme de stipulation. Les membres du collège étaient dès lors enchaînés par un lien religieux ou civil. Grêce à cette précaution, on pouvait exiger l'accomplissement des obligations imposées par les statuts et punir les contraventions. La procédure à suivre pour exiger les prestations fixées par les statuts variait suivant qu'on avait ou non employé les formes ordinaires des contrats !3. Dans le premier cas, le droit commun était applicable; dans le second, le plus fréquent, il appartenait au magister d'exiger l'exécution de l'obligation : c'est ce qui avait lieu pour le paiement du capitularium 14, de la cotisation mensuelle 16, etc. Les peines prévues par les statuts en cas de contravention sont de quatre sortes : peine pécuniaire, retrait du jus honorum ou du jus suffragii, privation des avantages assurés aux membres du collège, exclusion. La première peine est de beaucoup la plus ordinaire : elle consiste presque toujours en une somme fixe; dans un cas cependant elle est portée au quadruplets. Elle est encourue par les membres du collège en cas d'injure verbale " ou de tumulte pendant les banquets 18 ; par le président, lorsqu'il emploie l'argent social contrairement aux statuts 10, ou refuse, en sortant de charge, de jurer qu'il a fidèlement rempli ses fonctions 20. Dans ce dernier cas, la déchéance du jus honorum et du jus suffragii s'ajoute à la peine pécuniaire''. La privation des avantages assurés aux membres du collège est la conséquence toute naturelle de l'inobservation des statuts. Elle est spécialement mentionnée dans la lex corporis Heliopolitanorum 22. Quant à l'exclusion du collège, c'est la seule ressource que l'on ait vis-à-vis du membre du collège qui se rend coupable d'un manquement grave aux statuts, ou refuse d'acquitter les amendes prononcées contre lui23. La procédure à suivre pour réprimer les contraventions aux statuts varie suivant la nature de la peine : pour les contraventions qui entraînent une peine pécuniaire, on suit une procédure analogue à la procédure civile. Le magister est investi d'un droit de jurisdictio : c'est devant lui que l'action doit être intentée 24, c'est lui qui organisera une instance et nommera des juges pour trancher le différend. [In eum, qui contra h. 1. fullonicum fecerit cretulentumque exeg]erit, ex h. 1. magister magistrive judicium danto2U. Y avait-il pour le collège, comme pour la cité, un album de juges ? Cela semble résulter d'une inscription relative à un collège de (abri de Tusculum ou d'Ostie : elle retrace, lustre par lustre, la carrière de l'affranchi T. Flavius Hilario, qui, après avoir été décurion du collège au lustre XV, puis deux lustres de suite magister quinquennalis et censor bis ad magistratus creandos, devint judex inter electos [lustro] XXI2fi. LEX 1113 LEX Une inscription de la Gaule Cisalpine, rédigée dans un style très incorrect, mentionne une décision rendue par deux juges du collège des fabri : ex judicato Aquili Rafni, item Taciti secularis ex collegio fabrum 1. Ces judices ne doivent pas, croyons-nous, être confondus avec les quaglatores 2 qui, suivant l'opinion commune, étaient des arbitres chargés de trancher les différends qui s'élevaient entre confrères, et non de juger les contraventions à la lex collegii 3. D'après les statuts du collegium aquae, tout jugement rendu contrairement aux statuts entraîne pour le juge une amende ' ; il en est de même s'il refuse de juger 5. Les décisions rendues par les juges du collège n'étaient pas, comme les sentences des juges institués par les magistrats du peuple romain, susceptibles d'exécution forcée : contre les récalcitrants, on n'avait d'autre ressource que la peine de l'exclusion. Les contraventions aux statuts étaient parfois directement réprimées par le magister. Comme les magistrats du peuple romain, il avait la coercitio sanctionnée par le droit d'infliger une amende (mulctae dictio) [MULETA]. Indépendamment de cette procédure analogue à la procédure civile, on trouve la trace d'une procédure analogue au judicium populi admis en matière criminelle sous la République. C'est ce qui résulte d'une inscription récemment découverte à Athènes '. On vient de voir comment et dans quelle mesure la lex collegii oblige les membres du collège. On s'est demandé si cette lex peut obliger les personnes qui n'en font pas partie 8. La question n'en est pas une. La lex collegii n'est qu'une convention privée : elle est pour les tiers res inter alios acta, on ne saurait la leur opposer. Les fragments du collegium aquae qui ont fourni une raison de douter n'ont rien de décisif: si l'on donne action, en vertu de la lex collegii, contre le messager chargé par le magister d'annoncer qu'il était empêché de prêter serment et qui n'a pas rempli sa mission e, rien ne prouve qu'il ne soit pas lui-même membre du collège. Quant aux foulons qui veulent exercer leur métier sans avoir acheté le droit d'utiliser les fontaines publiques, si l'on donne action contre eux f 0, avec faculté d'appel au préteur ", c'est pour protéger un monopole concédé parl'État à ceux qui paient le vectigal12. Sur un point cependant, une dérogation au droit commun a été admise en faveur des membres des collèges funéraires : leurs créanciers ne peuvent réclamer le funeraticium de leur débiteur. Neque creditori ex hoc collegio ulla petitio este. Ce funeraticium a reçu une affectation spéciale: il doit servir à procurer au membre du collège une sépulture convenable. On a fait prévaloir ici l'intérêt moral du débiteur sur l'intérêt pécuniaire de ses créanciers.